Vendredi 2 février 2024
Edito
Séverine André
Un tracteur, détracteurs !
Cela fait bien longtemps que les paysans sont à bout, et presque aussi longtemps que nous autres non-paysans nous arrangeons pour faire comme si de rien n’était. Depuis quelques jours et sous l’impulsion des pays voisins, la tension a pourtant fini par monter d’un cran. Enfin, monter d’un cran, façon de parler. A la manière dont les choses peuvent monter d’un cran en Suisse : gentiment.
Ainsi les paysans suisses ont-ils entamé leur propre mouvement de révolte. Enfin, révolte est un bien grand mot : disons plutôt un mouvement de mécontentement au travers duquel nos paysans espèrent faire entendre leur colère. Enfin, colère, le mot est un peu fort : peut-être serait-il plus sage de parler d’irritation. Une irritation qui, chose amusante, a donné lieu à une forme d’expression tout à fait inédite. Loin de suivre leurs homologues français qui, dernièrement, sont passés maîtres dans l’épandage de lisier, le brûlage de pneus et l’embouteillage des voies de circulation à grand renfort de tracteurs ou de moutons (on fait avec ce qu’on a), nos paysans ont préféré à ces démonstrations odorantes, chronophages et tonitruantes une communication tout en douceur à base de messages positifs. Seule reprise littérale du mouvement commencé en Allemagne, le renversement des panneaux de localité que, désormais, on ne lit plus que la tête en bas, illustration poétique et subtile de l’idée selon laquelle nous marcherions sur la tête.
Motif de cette pondération toute helvétique ? Outre une possible différence de culture (dans les deux sens du terme), l’impression partagée par la plupart des agriculteurs que le dialogue avec les hautes sphères est encore possible. Etouffés qu’ils sont par les normes, noyés sous la surenchère administrative et acculés par la précarisation croissante de leur activité, ces exploitants ne désespèrent pas d’espérer que ces braves décideurs, dont la situation semble pourtant si éloignée de la leur, partagent avec eux une valeur au moins, qui transcende les clivages gauche/droite mais surtout haut/bas : le bon sens.