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Numéro 643

Vendredi 22 novembre

Edito

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Stéphane Babey

La mangeoire électronique

En Suisse, plus de 50 % de la population serait accro à son

téléphone portable. C’est un sondage qui le dit, réalisé par

Comparis.ch, donc n’ayant pas valeur scientifique. Car en

réalité, lorsqu’on emprunte les transports en commun ou

qu’on se balade en ville, on aurait plutôt l’impression que ce

chiffre avoisine les 90 %.

Formidable outil, le smartphone n’a pas tardé à se transformer

en engin d’asservissement des masses au service des

multinationales de la tech. Au moyen de méthodes conçues

scientifiquement et cyniquement, les géants de la Silicon

Valley ont progressivement colonisé nos cerveaux. Ils ont

sciemment implanté tous les mécanismes de l’addiction dans

leurs produits pour en faire la drogue électronique du

XXIe siècle. Et à l’instar des industries du tabac ou du

sucre avant eux, s’aidant des faramineux trésors de guerre

accumulés à la suite de leurs méfaits, ils mettent tout en

oeuvre pour éviter une régulation du secteur.

Veaux dociles hypnotisés par les phares de la voiture qui va les

écraser, les humains se sont métamorphosés en machines à

bouffer de la pub au kilomètre, à ingurgiter de la désinformation

à la tonne. Leur pouce qui fait indéfiniment défiler l’écran

est devenu l’instrument de leur lobotomie auto-infligée. Et

pendant que chacun s’intoxique consciencieusement devant sa

mangeoire, à coups de vidéos de chatons et de défis TikTok, le

monde s’écroule autour de nous.

Dans Orange mécanique de Stanley Kubrick, Alex est forcé de

visionner des images violentes avec des écarteurs pour que ses

paupières ne se referment pas. Dans 1984 de George Orwell

et dans Nous autres d’Eugène Zamiatine, les populations sont

forcées de regarder la télévision ou d’écouter les haut-parleurs

qui diffusent la propagande en permanence. Même les meilleurs

récits d’anticipation ne prévoyaient pas que le gavage se ferait

sur une base volontaire ! Dupé par la dopamine sécrétée devant

les images colorées des écrans, notre cerveau, qui a amené la

civilisation à des sommets d’invention, sera également l’agent

de notre propre perte. Joyeuse zombification à tous !

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